A LA LOUPE - Les poubelles s'accumulent dans les rues de Paris et de Marseille, en raison d'une grève dans le secteur du traitement des déchets. Sur décision du préfet, les agents des incinérateurs d’Île-de-France ont été contraints de reprendre le travail. A Marseille, la Préfecture a pris un arrêté similaire pour relancer la collecte, en pleine grève des éboueurs. Du jamais vu ? Nous sommes allés le vérifier.
La contestation de la réforme des retraites est toujours forte. Depuis maintenant deux mois, de nombreux secteurs d'activité sont minés par les grèves et la gestion des déchets n'y coupe pas. A Paris comme à Marseille, des poubelles jonchent les trottoirs. En cause, la grève des éboueurs dans ces deux cités et la mise à l'arrêt le 23 janvier de 3 usines de traitement d’Île-de-France.
Pour débloquer la situation, les préfets de Paris et des Bouches-du-Rhône ont pris des arrêtés de réquisition du personnel. "Ils ont réquisitionné les grévistes des déchetteries et garages à benne par huissier et à leur domicile, c'est inédit", s'offusque un internaute sur le réseau social Facebook. Il dénonce une manœuvre dictatoriale.
Les réquisitions, un droit encadré
D'un point de vue légal, les préfets peuvent forcer des grévistes à reprendre le travail mais ce droit est bien encadré pour ne pas empiéter sur le droit de grève. Ces réquisitions sont possibles en cas d'"atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques" et seulement quand les moyens à disposition se montrent insuffisants.
A Marseille, la métropole, en charge de la collecte des déchets a mis en avant sa "mission de salubrité public". "L'amoncellement de détritus peut conduire à la propagation de maladies, et à des incendies de poubelle". La procédure a été lancée ce jeudi 6 février au matin mais elle n'a pas eu à s'appliquer. "A l'annonce de la décision du préfet, les grévistes ont suspendu leur mouvement, la collecte a repris", nous indique un porte-parole. Il faudra cependant du temps pour venir à bout des "3.000 tonnes d'ordure en souffrance".
Le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a signé un arrêté qui permet la réquisition des agents de propreté en grève à Marseille, à la demande de la métropole qui a invoqué les 3.000 tonnes d'ordures en souffrance dans les rues de la cité phocéenne #AFP pic.twitter.com/N2WNDx2nd0 — Agence France-Presse (@afpfr) February 6, 2020
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Trois arrêtés de réquisition en Ile-de-France
En Île-de-France, la situation est plus tendue. Les grévistes ont stoppé le fonctionnement des incinérateurs depuis trois semaines dans les usines de traitement d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
"Pour rappel, ces 3 usines (...) traitent chaque jour les déchets de 6 millions d’habitants, soit 6000 tonnes / jour", tient à souligner le Syctom. L’établissement public en charge de la collecte et du traitement met en avant les dégâts environnementaux et les pertes économiques, notamment l'enfouissement de 5000 tonnes de déchets chaque jour "avec une capacité très faible de décomposition" et des trajets supplémentaires pour "plus de 200 gros-porteurs".
Mais concernant les "déchets accumulés sur les trottoirs à Paris", le syndicat pointe du doigt le "mouvement de grève des éboueurs parisiens." Nous avons "toujours accueilli les bennes dans (nos) centres ou (avons) pu proposer des solutions de remplacement. La collecte dans les 84 communes de banlieue s’est d’ailleurs effectuée normalement depuis le début du mouvement", se vante-t-il.
C'est pourtant le "risque d’accumulation d’ordures sur la voie publique ou dans les camions bennes en attente de déchargement" qui a conduit à prendre trois arrêtés de réquisitions depuis le 31 janvier, se justifie la préfecture de police de Paris. "Au total, ce sont 162 personnels qui ont été réquisitionnés depuis le début des blocages de sites de traitement de déchets", indique-t-elle.
Continuité du service de gestion des déchets et risques d'atteintes graves à la salubrité publique : réquisition des personnels et déblocage des sites par @prefpolice , comme ce matin également à #IssylesMoulineaux (92). — Préfecture de Police (@prefpolice) February 7, 2020
Un des agents réquisitionnés sur le site d'Issy-le-Moulineaux n'en revient pas. "Je n'ai jamais vu ça en 30 ans, lâche-t-il dépité au média militant Révolution Permanente. J'ai reçu une lettre de réquisition qui menace d'amendes et de prison." Refuser de s'y soumettre représente effectivement "un délit qui est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 euros d'amende."
Un agent de la TIRU d'Issy réquisitionné : "J'ai jamais vu ça en 30ans. J'ai reçu une lettre de réquisition qui menace d'amendes et de prison." #greve7fevrier #TIRU pic.twitter.com/dAXzyCOSvn — RévolutionPermanente (@RevPermanente) February 7, 2020
Est-ce pour autant inédit ? Non, même si cela est rare. En octobre 2010, déjà à Marseille, le préfet des Bouches-du-Rhône avait pris une mesure similaire. Ironie de l'histoire, à l'époque, les éboueurs étaient en grève pour réclamer ... le retrait du projet de loi sur les retraites.
Au-delà des milliers de tonnes d’ordures qui s’amoncelaient dans les rues depuis une quinzaine de jours, les grévistes occupaient deux centres de transfert des déchets, empêchant les agents des entreprises privées, non grévistes, d'y décharger leurs bennes. La Communauté urbaine de Marseille avait fait part à la préfecture de "l'état sanitaire de plus en plus préoccupant des rues de Marseille" du notamment à la prolifération des rats. 800 feux avaient également été recensés par les pompiers.
Avant d'opter pour la réquisition de grévistes, le préfet Michel Sappin avait tenté, comme le veut la loi, d'utiliser ses forces vives : 150 militaires - des hommes de la Sécurité civile de Brignoles, dans le Var - avaient été appelés en renfort pour collecter les ordures.
Des réquisitions réalisées chaque année
D'un point de vue plus global, des réquisitions de personnel et de service sont réalisées chaque année. En octobre dernier par exemple, lors d'une grève menée par les syndicats de biologistes, plusieurs préfectures avaient pris des arrêtés de réquisition pour assurer la poursuite des analyses dans les laboratoires de biologie médicale, comme en Auvergne-Rhône-Alpes ou en Corse.
Plus récemment, au début du mouvement de contestation contre la réforme des retraites, plusieurs départements avaient réquisitionnés des stations-services alors que des grévistes bloquaient les raffineries. L'approvisionnement en carburant était alors limité aux seuls "véhicules exerçant une activité ou appartenant à un service considéré comme prioritaire", explique l'Agence Régionale de Santé. Parmi eux : les bennes à ordures, mais surtout les camions de pompiers et les véhicules liés à une activité sanitaire.
Les salariés des raffineries n'étaient toutefois pas concernés par ces réquisitions. Ils l'ont été en 2010. Une trentaine de grévistes de la raffinerie Total de Grandpuits, en Seine-et-Marne, avaient été contraints de reprendre le travail, rapporte la CGT industries chimiques.
Atteinte au droit de grève
Des recours restent possibles. Ainsi en 2003, le Conseil d'Etat avait donné tort au préfet d'Indre-et-Loire, qui avait réquisitionné les sages-femmes d'une clinique de Tours, alors en grève. Si cette clinique assurait 41 % des accouchements du département, les autorités judiciaires ont estimé que le préfet avait pris l'arrêter "sans envisager le redéploiement d'activités vers d'autres établissements de santé ou le fonctionnement réduit du service, et sans rechercher si les besoins essentiels de la population ne pouvaient être autrement satisfaits compte tenu des capacités sanitaires du département". Une prise de décision portant "une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève."
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